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LA QUESTION KURDE
- PASSE ET PRESENT
- KEMAL BURKAY
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- Au cours des dernières années,
la question kurde a resurgi de manière intensive à
l'ordre du jour au niveau international. Cette question préoccupe
depuis des années les pays situés dans la région
concernée et est à l'origine de longs conflits intérieurs
et de crises économiques et sociales. Pour pouvoir comprendre
la question kurde dans sa dimension actuelle, il faut - même
brièvement - revenir sur les origines historiques et géographiques.
-
- Langue, religion et histoire
-
- Avec les Arabes, les Perses et
les Arméniens, les Kurdes sont un des peuples les plus
anciens de la région. Le pays qu'ils habitent est appelé
le Kurdistan. Les Kurdes ont leur propre langue, le kurde. Le
kurde est une langue indo-européenne et appartient , avec
le persan, l'afghan et le baloutche, au groupe iranien. Le kurde
n'est apparenté ni à l'arabe ni au turc.
-
- Il existe des oeuvres littéraires
rédigées en langue kurde qui remontent au 10ème
siècle. La langue kurde est une langue vivante, riche,
qui a réussi à survivre en dépit des interdits
et de la répression auxquels elle a été soumise.
Les poètes, écrivains et chercheurs qui écrivent
en kurde se comptent par centaines. De nombreux dictionnaires
et livres de grammaires ont été rédigés
en kurde. Le folklore kurde est, lui aussi, très riche.
-
- Avec le temps, les dialectes ont
développé une langue littéraire intéressante.
Le dialecte le plus répandu est le Kurmanci. Le Kurmanci
est parlé par environ 90% des Kurdes de Turquie; il est
aussi parlé dans les régions kurdes d'Iran et d'Irak
voisines de Turquie et par les Kurdes en Syrie, soit 60% de l'ensemble
des Kurdes. Le Sorani est parlé dans les régions
centrales du Kurdistan en Iran et en Irak. Le Zazaki est parlé
dans certaines régions du Kurdistan de Turquie. Dans les
trois parties du Sud du Kurdistan, on parle le Gorani et d'autres
dialectes.
-
- La grande majorité des Kurdes,
soit 75%, sont des musulmans sunnites, environ 15% des musulmans
Alévis. Les Alévis vivent en grande partie dans
les régions du Nord et de l'Ouest du Kurdistan de Turquie
ainsi dans la région Khorassan en Iran. En Iran et en Irak,
il existe d'autres groupes religieux, par exemple, les Kurdes
Feyli chiites ou les Ahl-e-Haqq (Les détenteurs de la Vérité),
proches des Alévis. Dans les différentes parties
du Kurdistan, en particulier, dans la région où
se rejoignent les frontières de la Turquie, de l'Irak et
de l'Arménie, vivent également les Yézidi.
Autrefois, la religion des Yézidis, dont les racines remontent
jusqu'à Zarathoustra, était très répandue
parmi les Kurdes. Dans la région centrale du Kurdistan
vivent également des populations de chrétiens assyriens
et chaldéens.
-
- Très tôt, les Kurdes
ont joué un rôle important dans l'histoire de cette
région. De nombreuses sources grecques, romaines, arabes
et arméniennes en font état. A l'époque islamique,
entre le 11ème et 13ème siècle, les Kurdes
ont fondé des dynasties importantes, comme les Shaddadides,
les Marwanides et les Ayyoubides : le Sultan Saladin, fondateur
de la dynsatie des Ayyoubides qui régnait sur l'Egypte,
la Syrie et le Kurdistan, a pris une place d'importance dans l'histoire.
-
- Les Turcs originaires d'Asie centrale
sont arrivés en Anatolie au 11ème siècle,
en passant par la Perse. Ils ont fondé les dynasties Seldjoukides
et l'empire ottoman. Le Kurdistan a longtemps été
le théâtre des conflits armés entre les empires
ottomans et perse. A cette époque, les principautés
kurdes ont pris parti tantôt pour l'un tantôt pour
l'autre et conservé ainsi leur statut d'autonomie. Pourtant
en 1638, le partage officiel du Kurdistan est scellé par
le traité de Kasri-e-Shirin. Depuis cette date jusqu'au
milieu du 19ème siècle, ces deux Etats ont combattu
les principautés kurdes et les ont finalement éliminé.
-
- A partir du début du 19ème
siècle, la lutte entre ces deux grands Etats revêt
un caractère national. Les princes kurdes Berdirkhan et
Yazdan Cher ainsi que des chefs religieux tel le cheikh Ubeydullah
ont lutté pour l'unité et l'indépendance
du Kurdistan, mais sont sortis vaincus de cette lutte.
-
- Après la Première
Guerre Mondiale, l'empire ottoman disparaît et fait place
à de nouveaux Etats qui sont créés sur son
ancien territoire. Après la signature du traité
de Sèvres le 10 août 1920, un Etat kurde aurait dû
être fondé, ce qui n'eut pas lieu par la suite. Suite
au traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923,
le Kurdistan ottoman fut divisé de nouveau. Une partie
fut placée sous protectorat français et anglais,
des régions qui devaient devenir plus tard la Syrie et
l'Irak. La plus grande partie du Kurdistan resta à l'intérieur
des frontières de ce qui allait devenir la République
de Turquie, fondée sur les ruines de l'empire ottoman.
-
- L'empire ottoman et l'empire persan,
qui s'étaient partagés le Kurdistan, n'ont jamais
remis en question l'existence du peuple Kurde. Même la République
de Turquie a tout d'abord défini les nouvelles frontières
comme les « frontières du Misak-i Milli (pacte national),
qui englobent les régions où vivent les majorités
turques et kurdes ». Environ 70 députés kurdes
dont la dénomination officielle était « députés
du Kurdistan », participèrent à la première
réunion de la Grande Assemblée Nationale à
Ankara. Ismet Pascha, représentant des Turcs, déclarait
à Lausanne : « Les Kurdes et les Turcs représentent
les véritables parties intégrantes de la République
de Turquie. Les Kurdes ne sont pas une minorité, mais,
une nation. Le gouvernement d'Ankara n'est pas seulement le gouvernement
des Turcs mais aussi celui des Kurdes. »
-
- Cependant, après la signature
du traité de Lausanne, la politique d'Ankara changea rapidement.
Les structures du nouvel Etat furent établies pour répondre
totalement aux intérêts turcs. L'existence des Kurdes
fut niée. La langue kurde, la culture kurde furent interdites.
Les mots « kurde » et « Kurdistan » également.
La politique kémaliste ne tenait pas compte le moins du
monde de la structure multiculturelle de l'Anatolie, formée
d'une mosaïque de peuples. Elle se fondait sur l'assimilation
des autres langues et cultures à la culture turque et sur
la création d'une « nation unique ». L'article
39 du traité de Lausanne, selon lequel les citoyens de
Turquie avaient le droit d'utiliser librement leur langue dans
la vie quotidienne, fut foulé aux pieds, et l'usage de
la langue kurde totalement interdit tant dans la presse que dans
le système d'éducation. Parler des Kurdes et critiquer
la répression était considéré comme
un crime grave et sévèrement puni.
-
- En 1925, sous la conduite du Cheikh
Said, Les Kurdes se révoltèrent contre cette politique.
Cependant, leur soulèvement fut réprimé dans
le sang. Des dizaines de milliers de Kurdes furent tués,
d'autres expulsés. Dans les années qui suivirent,
il y a eu d'autres révoltes kurdes. Les plus significatives
eurent lieu 1930 à Ararat et en 1938 à Dersim. L'Etat
turc a constamment fait la guerre au Kurdistan.
-
- Après 1938 suivit une phase
relativement calme d'environ 20 ans. Cependant, il n'est pas étonnant
que les Kurdes, privés de leurs droits nationaux et soumis
à des mesures de répressions massives, acculés
à la pauvreté et à l'incertitude, et sans
possibilité d'utiliser les moyens légaux et pacifiques
de la lutte politique, aient de nouveau repris les armes pour
lutter contre cette cruelle répression. Depuis 1979, la
Turquie gouverne le Kurdistan par l'état d'exception et
la sale guerre.
-
- Dans les autres parties du Kurdistan,
les choses se sont déroulées de façon similaire.
Les Kurdes d'Irak, soit le Kurdistan du Sud, résistent
également depuis la Première Guerre Mondiale. Tout
d'abord sous la conduite de cheikh Mahmoud Barzinji (1919-1923),
puis de cheikh Ahmed Barzani et de son frère Mustafa Barzani
(à partir de 1933), des soulèvements eurent lieu;
mais ces soulèvements furent également matés.
Cependant, l'identité kurde n 'a pas été
contestée en Irak. Grâce à leur combat, les
Kurdes ont également obtenu certains droits culturels.
Ils ont obtenu des écoles, des universités, des
émissions de radios, etc. La culture kurde s'est développée
dans cette région.
-
- Le plus grand soulèvement
kurde dans cette partie du Kurdistan commença en 1961 sous
Mustafa Barzani et dura jusqu'en 1970. En 1970, les Kurdes négocièrent
avec le gouvernement central. Toutefois, le gouvernement de Bagdad
tint les Kurdes en haleine et ignora les dispositions du traité.
C'est pourquoi la guerre recommença en 1975, pour durer,
avec quelques interruption, jusqu'en 1991.
-
- La guerre contre les Kurdes a coûté
très cher à l'Irak. Pour priver les Kurdes de soutien
extérieur, le régime de Saddam avait fait des concessions
territoriales à l'Iran. Afin de reconquérir ces
territoires, il mena ensuite contre l'Iran une guerre dévastatrice
qui allait durer 8 ans. Au cours de cette guerre, le Kurdistan
fut ravagé, et l'Irak alla même jusqu'à utiliser
des gaz toxiques contre les Kurdes. Après la fin de la
guerre, il attaqua le Koweït. Ce qui s'en suivit est bien
connu.
-
- Saddam connut une défaite
cuisante contre les alliés. Les Kurdes furent tout d'abord
évacués en masse, puis une zone de sécurité
leur fut attribuée par une résolution des Nations
Unies. Les réfugiés revinrent dans leur patrie.
En « Irak du Nord », les Kurdes constituèrent
un parlement et un gouvernement national.
-
- Le problème de l'Irak n'est
pas encore résolu actuellement. Le pays est toujours soumis
à un embargo des Nations Unies, et les Kurdes se trouvent
dans une situation extrêmement difficile.
-
- L'Etat iranien a mené contre
les Kurdes une politique de répression semblable à
celle du régime kémaliste en Turquie. Lorsqu'à
la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le Nord de l'Iran
a été occupée par l'Union Soviètique
et le Sud par l'Angleterre, les Kurdes purent respirer et s'organisèrent
rapidement. Le Parti Démocratique du Kurdistan fut alors
fondé, puis la République kurde de Mahabad fut proclamée.
Pourtant, lorsque la guerre fut finie, le gouvernement de Téhéran
mis fin à la République de Mahabad, avec l'appui
politique de l'Angleterre et des Etas-Unis.
-
- La résistance du peuple
kurde n'a pourtant jamais cessé. Lorsque le régime
du Shah arrive à sa fin en 1978, cette partie du Kurdistan
peut encore une fois jouir de sa liberté. Malheureusement,
cette phase ne dure pas longtemps. Les attaques du nouveau régime
sous la conduite des Mollahs ne se font pas attendre, entraînant
une résistance armée, active encore aujourd'hui.
-
- En bref, depuis la fin de la Première
Guerre Mondiale jusqu'à aujourd'hui, sans compter les révoltes
antérieures, le peuple kurde a toujours résisté
dans les trois grandes parties du Kurdistan à la colonisation
et à une cruelle répression, et a toujours lutté
pour le maintien de son identité, pour l'usage de ses droits
nationaux et la libre détermination de son propre destin.
Notre peuple a perdu des centaines de milliers d'hommes dans cette
lutte et a été victime d'expulsions en masse. On
lui a infligé des souffrances extrêmes. On peut véritablement
parler d'un génocide. Malheureusement, ni la communauté
des peuples, ni l'Organisation des Nations Unies n'ont endossé
de responsabilité à l'égard de la tragédie
de notre peuple et se sont contentées d'être les
spectateurs de ces événements.
-
- Géographie et population
-
- Le nombre des Kurdes vivant dans
les quatre parties du Kurdistan et à l'intérieur
des frontières des quatre pays entre lesquels il est partagé,
se monte à environ 35 millions. En nombre, les Kurdes sont,
avec les Arabes, les Turcs et les Perses, une des quatre grandes
nations du Proche-Orient.
-
- Le Kurdistan, occupé depuis
toujours par des Kurdes, a une superficie de 500.000 km2, comparable
à celle de la France. En d'autres termes, les Kurdes ne
forment pas une minorité dans leur pays mais bel et bien
la majorité. La question kurde n'est donc pas un problème
de minorités dans un pays ou un autre, mais celle d'un
pays partagé et d'une nation. Comme toutes les autres nations,
les Kurdes ont le droit à l'autodétermination.
-
- Les frontières qui séparent
le Kurdistan ne sont ni naturelles, ni économiques, ni
culturelles. Ce sont des frontières artificielles, érigées
contre la volonté du peuple kurde pour satisfaire les intérêts
des puissances se partageant le pays et l'équilibre du
pouvoir. Ces frontières ont souvent séparé
des villages, des villes, voire des familles, et entraîné
la destruction et la division de la vie culturelle et sociale.
-
- La partie la plus grande du Kurdistan,
qui représente - de par la superficie et le nombre d'habitants-
environ la moitié de l'ensemble du Kurdistan, se trouve
dans le Nord en Turquie. Elle représente un tiers de la
superficie totale de la Turquie et comprend plus de vingt provinces
situées dans les « régions de l'Est et du Nord-Est
». Par ordre de grandeur, les autres parties du Kurdistan
sont le Kurdistan oriental (situé en Iran), le Kurdistan
du Sud (situé en Irak) et les régions kurdes situées
en Syrie.
-
- On compte entre 80 et 90% de Kurdes
vivant dans ces parties du Kurdistan. Un certain nombre de Kurdes
vivent - soit depuis longtemps soit en raison des récents
mouvements migratoires ou des mouvements de réfugiés
- dans d'autres régions et dans les villes de chacun de
ces pays. Si l'on tient également compte de ceux-ci, on
peut dire que 18 à 20 millions de kurdes vivent en Turquie,
8 à 10 millions en Iran, 5 millions en Irak, et 1,5 en
Syrie.
-
- Environ un tiers des travailleurs
immigrés en provenance de la Turquie arrivés dans
les dernières 20 à 30 années dans les pays
d'Europe sont des Kurdes. Si l'on ajoute le nombre des Kurdes
ayant fui la Turquie ou d'autres parties du Kurdistan pour des
raisons politiques et économiques au cours des dernières
années et maintenant installés en Europe, le nombre
de Kurdes vivant en Europe se monte à environ 1 million.
Des communautés kurdes ont ainsi vu le jour en Amérique
du Nord et en Australie, suite aux mouvement migratoires et de
réfugiés.
-
- Ressources naturelles, structures
économiques et sociales
-
- En ce qui concerne les ressources
naturelles de sous-sol, le Kurdistan est un des pays le plus riche
de la planète. La région connue depuis très
longtemps sous le nom « croissant fertile » et qui s'étend
des montagnes du Zagros jusqu'à la Méditerranée
et englobe le Nord de la Mésopotamie se trouve en grande
partie au Kurdistan.
-
- Le Kurdistan est également
riche dans le domaine agricole. Les plaines situées entre
les chaînes de montagnes, en particulier dans le Sud où
il fait plus chaud, se prêtent tout particulièrement
à l'agriculture en raison des propriétés
de leur sol et des conditions climatiques favorables. Les plateaux
et versants des montagnes offrent des pâturages très
fertiles. Sur les sols du Kurdistan poussent toutes sortes de
céréales ainsi que des fruits et légumes
de haute qualité. Les plaines de Haran ainsi les régions
situés autour de Cezire et Mossoul sont les greniers de
toute la région.
-
- Les différences de température
et d'altitude entre le Nord et le Sud ont fait du Kurdistan un
pays où l'élevage revêt une grande importance.
De plus, le Kurdistan est un véritable réservoir
de viande, de beurre, du fromage, de laine et de peaux pour le
Proche-Orient.
-
- Avec ses ressources en pétroles
et autres minéraux, le Kurdistan est un pays très
riche. Une grande partie des ressources pétrolières
de l'Irak se trouvent au Kurdistan, aux alentours de Kirkouk et
Hanikin. Une partie des plus grandes sources pétrolières
de l'Iran se trouve également au Kurdistan, dans la région
de Kirmanschah. Les sources pétrolières de la Turquie
se trouvent presque exclusivement au Kurdistan (dans la région
de Batman, Diyarbakir et Adiyaman). Les principales sources pétrolières
de la Syrie se trouvent aussi au Kurdistan, dans la région
de Cezire. En outre, notre sol est riche en fer, en cuivre, en
chrome, en charbon, en argent, en or, en uranium et en phosphate.
-
- Au Kurdistan, les fleuves sont
au moins aussi importants sinon plus que les ressources pétrolières.
Les plateaux et montagnes du Kurdistan, où il pleut abondamment
et où le sol est recouvert en hiver d'une épaisse
couche de neige, sont le réservoir d'eau du Proche-Orient.
C'est là que prennent leur source le Tigre et l'Euphrate,
fleuves bien connus, mais aussi de nombreuses petites rivières.
Le Tigre et l'Euphrate arrosent la plaine de Mésopotamie,
la partie Sud du Kurdistan, mais aussi l'Irak et la Syrie. Ces
fleuves qui descendent d'altitude entre 3000 et 4000 mètres
sont également importants pour la production d'énergie.
L'Irak et la Syrie ont construit de nombreux barrages sur ces
fleuves ou sur leurs affluents. Plus important encore sont les
barrages que la Turquie construit dans le projet de GAP (Projet
du Sud-Est anatolien). Il s'agit d'un projet qui n'est pas encore
achevé et qui couvre déjà une part importante
des besoins de la Turquie en énergie électrique.
La réalisation de ce projet permettra d'une part d'assurer
la satisfaction des besoins en énergie électrique
et d'autre part de quadrupler la production agricole grâce
à l'irrigation de cette partie du Kurdistan.
-
- Dans l'Antiquité et au Moyen-Age,
le Kurdistan se trouvait sur la route de la soie et des épices
entre l'Extrême-Orient et l'Europe. Ce fait a conservé
toute son importance, même dans un passé très
récent. Il est intéressant de noter que le Kurdistan
est aujourd'hui la région la plus favorable pour les pipelines
pétroliers de l'Irak et du Caucase.
-
- L'extraordinaire richesse du Kurdistan
et sa position stratégique sont en même les raisons
principales pour lesquelles le partage de notre pays a toujours
été maintenu et des souffrances énormes infligées
à notre peuple. C'est pour cela que le Kurdistan a attiré
l'attention des Etats coloniaux occidentaux au 18ème et
19ème siècles. Les Anglais, les Français
et les Russes se sont disputés notre pays. Après
la Première Guerre Mondiale, ils l'ont divisé selon
leurs propres intérêts.
-
- Les Russes se sont retirés
après la Révolution d'Octobre 1917. Les Anglais
et les Français ont quitter la région après
l'indépendance de la Syrie et de l'Irak. Mais leurs relations
économiques et leur influence se font encore sentir dans
la région.
-
- Tout comme la Turquie et l'Iran,
les gouvernements nationaux fraîchement constitués
en Syrie et en Irak ont tout fait pour maintenir leur contrôle
sur la partie du Kurdistan qui leur avait été attribuée
et pour assimiler et exterminer les Kurdes. Ils ont réprimé
brutalement les révoltes kurdes, se sont entraidés
et ont conclu des accords. Ils ont pillé les richesses
du Kurdistan, empêché son développement économique,
culturel et social.
-
- C'est pourquoi notre peuple doit
vivre dans la pauvreté dans ce pays riche. Ces conditions
coloniales, l'incertitude constante et la guerre ont bloqué
le développement agricole, commercial et industriel de
notre pays. Le capital réalisé au Kurdistan a toujours
traversé les frontières de notre pays. La société
n'a pas pu se moderniser, les structures féodales du passé
n'ont pas encore complètement disparu. La structure tribale
des campagnes, les grandes propriétés foncières
et les courants religieux qui les accompagnent ainsi que le système
tribal dirigé par des cheikhs (chefs de tribus religieux)
se sont maintenus. La bourgeoisie et la classe de travailleurs
dans le sens moderne du terme ne jouent qu'un rôle secondaire
dans la société.
-
- La guerre sale que chaque Etat
colonialiste mène pour réprimer le mouvement national
kurde depuis 1961 au Kurdistan du Sud (Irak), depuis 1979 au Kurdistan
oriental (Iran) et depuis 1984 au Kurdistan du Nord (Turquie)
ont eu des conséquences dévastatrices pour notre
pays. Dans une telle situation, où tout est détruit
brutalement, où les gens fuient en masse, il serait ridicule
de s'attendre à des progrès dans les domaines économique
et social.
-
- Pourquoi le mouvement de résistance
kurde
- n'a-t-il eu aucun succès
jusqu'ici?
-
- Le 20ème siècle a
été le témoin de la chute du système
colonial dans le monde entier et de la fondation d'Etats nouveaux
dans d'anciennes colonies et dans des pays indépendants.
Pourquoi les Kurdes, dont les racines remontent loin dans l'histoire
et qui possèdent une culture riche, n'ont-il pas réussi
à obtenir leur liberté, bien que leur résistance
n'ait pas cessé depuis le début du 19ème
siècle et qu'ils ont déjà payé un
lourd tribut.
-
- Les raisons sont tant internes
qu'externes. La division féodale de la société
kurde est une raison interne. La structure tribale, les divisions
en courants religieux, la structure des grosses propriétés
terriennes et les confréries religieuses ont toujours fait
obstacle à l'unité des forces nationales. Ces structures
moyenâgeuses ont empêché la conscience nationale
de se développer.
-
- Mais, ce ne sont pas les seules
raisons. Il ne faut pas oublier que de nombreuses nations d'Asie
et d'Afrique qui ont obtenu leur liberté étaient
sous-développées, parfois même plus sous-développées
que les Kurdes, sur les plans économique et social. Les
véritables raisons qui ont empêché la réussite
du mouvement national kurde sont externes.
-
- Au début, les Kurdes ont
combattu de grands empires, l'empire ottoman et l'empire persan.
L'équilibre des forces désavantageait les Kurdes
qui ne recevaient aucun appui de l'extérieur. Les pays
balkans ont obtenu leur indépendance avec l'appui d'Etats
puissants tels que la Russie, l'Autriche, l'Angleterre et la France.
Ce sont ces mêmes Anglais et Français qui ont séparé
l'Arabie de l'empire ottoman et qui, en accord avec le gouvernement
d'Ankara, ont partagé le Kurdistan.
-
- Les révoltes kurdes qui
suivirent la Première Guerre Mondiale ne furent pas seulement
combattues par la Turquie et l'Iran, mais aussi par les Français
et les Anglais, qui exerçaient leur protectorat sur la
Syrie et l'Irak. Et ce sont en particulier les Anglais dont les
propres forces réprimèrent le soulèvement
national kurde en Irak.
-
- Après l'indépendance
de la Syrie et de l'Irak, le mouvement national kurde eut à
lutter contre l'alliance de quatre Etats (la Turquie, l'Iran,
l'Irak et la Syrie). La terre kurde se retrouva enfermée
dans ces quatre Etats, entourée de puissances ennemies.
Les Kurdes n'ont aucun accès vers l'extérieur, ni
par terre ni par mer. Il est très difficile d'établir
des contacts avec le monde extérieur. Même s'il existait
des forces amies, susceptibles d'aider les Kurdes de l'extérieur,
il n'existe pas de route permettant l'accès direct au Kurdistan.
Si le mouvement national kurde passe à la révolte
armée dans une des parties du Kurdistan, il lui faut passer
par un pays voisin pour obtenir le soutien et les bases logistiques
nécessaires. Et ces pays voisins, ce sont justement un
de ces quatre Etats qui exercent leur contrôle sur les autres
parties du Kurdistan, et une victoire du Kurdistan n'intéresse
aucun d'entre eux. Ces Etats utilise le Kurdistan pour faire pression
les uns sur les autres, lorsqu'ils ont des problèmes à
régler entre eux. C'est ce qui rend la question kurde,
déjà bien compliquée, encore plus difficile.
De telles relations sont extrêmement problématiques
pour le mouvement national kurde et amènent quelquefois
les organisations kurdes à se combattre entre elles.
-
- De plus, le mouvement national
kurde n'a jamais eu l'appui d'une grande puissance parce que les
Etats, grands ou petits, qui ne sont pas directement concernés
par la question kurde, placent leurs intérêts au
premier plan et ne veulent pas se dresser contre les quatre Etats
de cette région (Turquie, Iran, Irak et Syrie).
-
- Quelle est la solution ?
-
- Si pour les raisons citées
ci-dessus, le mouvement national kurde n'a pas eu de succès,
il faut souligner qu'aucun des quatre Etats concernés n'a
réussi à assimiler les Kurdes ou à les éliminer.
Au contraire : la conscience national kurde s'est affermie. Après
avoir vaincu certaines obstacles féodaux, le mouvement
national a pris les dimensions d'un phénomène de
masse. Le mouvement national kurde s'est organisé, il atteint
toutes les classes et couches sociales. Un rapprochement s'est
effectué entre les Kurdes vivant dans les différentes
parties du Kurdistan. Dans tous ces pays, la résistance
kurde est devenue plus forte et a pris la forme d'un mouvement
de résistance armée dans les trois grandes parties
du Kurdistan, une résistance qui jusqu'ici n'a pas pu être
réprimée. La négation de l'identité
kurde , le refus des droits aux Kurdes, la poursuite d'une politique
de répression contre les Kurdes coûte très
cher aux pays concernés. Les gouvernements turc, iranien
et irakien sont constamment en guerre. Cette guerre engloutit
leurs ressources financières et coûte de nombreuses
vies humaines.
-
- L'Irak, pratiquement confronté
à une division, est l'exemple même de cette situation.
Mais tout n 'est pas rose non plus en Turquie.
-
- La politique de répression
menée contre les Kurdes représente pour la Turquie
l'obstacle le plus important pour la démocratie et la paix
intérieure. La question kurde est une des causes principales
des coups d'état militaire en Turquie. La guerre sale engagée
depuis 11 ans contre le peuple kurde engloutit 8 à 10 milliards
de dollars par an. De plus, le secteur du tourisme enregistre
des pertes sévères. Au Kurdistan, l'économie
est au point mort; l'agriculture, le commerce et l'élevage
se sont effondrés.
-
- La question kurde a entraîné
la Turquie dans une crise économique et politique grave.
La violence emprisonne la vie du pays comme un filet. Le nationalisme
turc imprégné de chauvinisme et de militarisme se
développe dangereusement.
-
- Le gouvernement, les autorités
turques rendent le PKK, « cette poignée de
- terroristes », responsables
de cette situation désastreuse. Pourtant, le principal
responsable de la misère actuelle et de toute la souffrance
infligée aux deux peuples est bien l'Etat turc lui-même.
La situation dans laquelle se trouve actuellement la Turquie est
le résultat d'une politique désastreuse pratiquée
depuis 70 ans.
-
- Il ne fait aucun doute que le problème
kurde ne peut être résolu par l'armée et la
police. Une solution pacifique est possible, qui passe par le
dialogue et la reconnaissance des droits des Kurdes et dont les
deux peuples profiteraient. La paix et la démocratie pourraient
enfin régner dans le pays et l'ensemble de la Turquie et
le Kurdistan pourraient entrer dans une phase de développement.
-
- Ces dernières années,
des cercles intellectuels avancés critiquent la politique
menée depuis 70 ans, une politique qui n'a profité
à personne et a mené le pays dans une voie sans
issue; ces hommes et femmes courageux prônent une solution
pacifique. Le patronat, les intellectuels et les médias
soutiennent de plus en plus ce point de vue. La situation internationale
pousse également la Turquie à changer de politique.
-
- La question kurde a dépassé
au cours des dernières années sa dimension de problème
régional et est devenu un problème international.
Dans ce contexte, la décision des Nations Unies de protéger
les Kurdes d'Irak est d'une importance considérable. La
Turquie, qui veut faire partie de l'Union européenne, doit
adapter sa vie politique et culturelle aux normes européennes
et mettre en pratique les accords internationaux qu'elle a signés.
-
- La conclusion que je tire des faits
exposés jusqu'ici est que la solution da la question kurde
en dépit des difficultés actuelles, est de plus
en plus proche. Afin de rendre possible une solution pacifique,
il faut renforcer les initiatives de paix tant sur le plan national
qu'international.
-
- Le Parti Socialiste du Kurdistan,
dont je fais parti, s'engage dans la voie d'une solution pacifique
et juste. Malgré la répression et toutes les provocations
auxquelles le peuple kurde a été et est encore soumis,
nous avons choisi dès le début des méthodes
de lutte politiques et pacifiques. A notre avis, une cohabitation
pacifique des deux peuples est possible, et c'est pourquoi notre
Parti propose une fédération. Nous pouvons trouver
des solutions, tout comme en Espagne, en Belgique et en Suisse.
Ce que la Turquie revendique pour les centaines de milliers de
turcs qui vivent sur l'île de Chypre, elle devrait aussi
le reconnaître, au sein de ses propres frontières,
à la nation kurde, forte de 20 millions d'âmes.
-
- Mais pour cela, il faut tout d'abord
que les armes se taisent et que des négociations soient
entamées.
-
- Dans les autres parties du Kurdistan,
il est également possible, à notre avis, de résoudre
le problème pacifiquement. Dans toutes les parties du Kurdistan,
l'existence et les droits du peuple kurde doivent être respectés,
des solutions fédérales doivent être trouvées
sur la base de l'égalité des droits.
-
- La question de l'unité de
la nation kurde est du domaine de l'avenir. Je crois que la région
du Proche-Orient va connaître de grands changements. Les
régimes despotiques, répressifs d'aujourd'hui, vont
être balayés, les relations entre les peuples s'amélioreront
et il y aura, comme en Europe, une phase de rapprochement. Les
frontières perdront leur signification. Les frontières
artificielles, qui divisent aujourd'hui le Kurdistan à
coup de fil de fer barbelé, de mines, disparaîtront
également.
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